Affiner les méthodes du boycott de consommation pour le rendre très efficace

Le boycott est un moyen de pression qui a prouvé son efficience dans de nombreuses circonstances, au bénéfice de multiples causes. Malheureusement, il a aussi montré des limites.

RÉFLEXION

Frédérique DAMAI

2/27/2025

Les obstacles et limites du boycott
  • Passons sur les risques judiciaires souvent incompréhensibles ou plutôt si prévisibles : ils ne sont jamais indépassables.

  • L'impact fréquemment insuffisant. Trois éléments principaux sont à prendre en compte ici :

    • La popularité et l'importance de la cause qui doivent mobiliser un nombre suffisant d'acteurs pendant un temps suffisamment long. Cela déterminera un ratio « Potentiel d'impact sur le chiffre d'affaires/Durée du boycott ».

    • La capacité de résistance économique de l'entreprise ou du secteur concerné. Elle s'évalue avec le même type de ratio « Durée du boycott/Capacité d'absorption des pertes de chiffre d'affaires ». Jusqu'à quel niveau de perte financière l'entreprise peut-elle résister ? Pendant combien de temps ?

    • Le fait que les acteurs du boycott puissent ou non se passer du ou des produits et services – ou trouver une substitution – pour ne pas être les premières victimes de l'opération.

  • L'impact sur l'image de marque n'est pas acquis du simple fait du boycott. En effet, si certains secteurs sont très sensibles à ce sujet, d'autres n'auront qu'une crainte très relative dans ce domaine.

  • Une action de boycott qui concerne tous les acteurs d'un même secteur (la distribution alimentaire, par exemple), ne pourra être efficace. Les boycotteurs devront satisfaire leurs besoins élémentaires, d'une manière ou d'une autre, un jour ou l'autre. Au mieux, cela manifestera un mécontentement populaire, mais n'aura pas l'efficacité économique du boycott.

  • Etc.

Nous proposons d'affiner la méthode du boycott pour surpasser ces limites et obstacles. Pour illustrer cela, nous allons partir d'un exemple qui pourrait bien être mobilisateur.

Comme nous, vous aurez remarqué des progrès dans la publicité quant aux morphotypes et aux âges des femmes que l'on nous présente. Tout du moins quand il s'agit de lessives, de tampons hygiéniques, de déodorants, etc. Mais dès que cela concerne le parfum de luxe, la diversité s'arrête net. Sous prétexte d'égéries et d'autres arguments hypocrites de ce genre, on nous réchauffe les canons éculés. Il ne manquerait plus que les informes et les vieilles revendiquent de sentir bon, d'être belles et de devenir des symboles de séduction ?

Il faut donc boycotter ce secteur sectaire sans délai - Méthode

Première étape : Définir un objet du boycott précis

Dans la situation : imposer aux grandes marques de parfums de luxe d'en finir avec leur ségrégation morphtypique et de valoriser toutes les diversités corporelles féminines de tous les âges. Tout cela au travers de leurs publicités. On s'arrêtera à un seul objet. Par exemple, on n'ajoutera pas d'objectifs sur les ridicules slogans en anglais. En courant deux buts à la fois, on diminuerait immédiatement l'importance de la cause principale, donc la mobilisation.

Deuxième étape : Arrêter la cible.

C'est à ce niveau que nous pensons qu'il faut s'éloigner de la méthode classique. Celle-ci voudrait que l'on appelle au boycott de toutes les marques qui sombrent dans ces stéréotypes publicitaires. Mais, trois obstacles apparaissent aussitôt :

  • Les protagonistes du boycott n'ont aucune raison d'arrêter de sentir bon. Le besoin persiste et ils n'ont pas lieu de se pénaliser eux-mêmes.

  • Nous serions dans le scénario d'un report d'achat. La trésorerie de ces grandes entreprises leur permet de résister un très long moment.

  • Cela nécessiterait un niveau de mobilisation extrêmement important pendant une très longue période pour un résultat incertain. Ceci représente un obstacle de taille.

En conséquence, on concentrera le boycott sur une seule entreprise. En effet, il suffira de tordre le bras d'une seule pour que la menace de les faire toutes plier les unes après les autres devienne crédible. Une seule victoire entraînera des changements en cascade, par prudence ou par crainte.

Comment choisir la première entreprise cible ? Sur les critères que nous avons évoqués plus haut.

  • On sélectionnera bien évidemment une entreprise ayant une activité significative et ségrégative dans la publicité pour les parfums de luxe.

  • Parmi celles-ci, on s'arrêtera sur celle qui a des chances de mobiliser le plus de boycotteurs. À savoir, celle dont le niveau de fidélisation à la marque est le moins important. L'évolution des consommateurs vers plus de nomadisme tend à simplifier la tâche.

  • On cherchera enfin à évaluer le ratio à partir duquel l'entreprise sera contrainte de céder : "Pourcentage de perte de chiffre d'affaires/Durée".

Après analyse et selon ces critères, on choisira donc l'entreprise la plus fragile. Il est important d'entamer l'action par une victoire, ce qui nécessite de cibler l'entité la moins résistante. Nous reviendrons sur les conséquences sociales plus tard.

Nous avons choisi la marque DYK (imaginaire bien sûr), très réputée pour ses parfums et ses mannequins en fils de fer.

Troisième étape : Évaluer les chances de réussite

Une mobilisation qui échoue compromet les mobilisations futures parce qu'elle génère découragement et scepticisme. Il ne faut donc se lancer dans un boycott que si l'on est pratiquement certain de réussir. La question la plus déterminante sera le taux de participation. Pour qu'un secteur entier plie, il faudrait atteindre des taux de participation proches ou dépassants les 50 % pendant des mois. Cette jauge est presque toujours inatteignable.

En revanche, si on limite le boycott à une seule entreprise, le pourcentage de participation nécessaire sera beaucoup plus faible. Pour le besoin de notre livre, nous avons étudié les capacités de résistance des banques impliquées dans le financement de l'armement. Nous avons pu établir qu'en ciblant une seule banque, il suffirait que 15 % des clients changent de banque en un ou deux mois pour mettre en danger son équilibre. Il suffirait donc de beaucoup moins pour la faire plier. Quant aux clients, ils n'auraient rien perdu dans l'opération.

Quatrième étape : Communiquer, mobiliser et annoncer le délai de préavis

La communication sur le boycott doit être précise quant à son objet et son objectif. Elle doit réussir à mobiliser tous les réseaux sensibilisés à la question des ségrégations physiques. Cela nécessite évidemment un travail de préparation et d'échange discret en amont. Par contre, le jour J, l'information doit devenir rapidement virale.

On détaillera l'action de boycott : objet, changement attendu et critères de validation du changement, entreprise visée, date de lancement, préavis préalable. On invitera les acteurs du boycott à se diriger vers des concurrents qui s'engageraient déjà formellement dans une voie de non-ségrégation.

Pourquoi un préavis ? Parce qu'il n'y a pas raison de pénaliser une entreprise et encore moins ses salariés sans leur avoir donné une chance de réaliser le changement attendu sans boycott. Le préavis est donc une façon de proposer une alternative totalement indolore. Le délai doit être raisonnable pour les deux parties.

Le jour J, une information est communiquée à l'entreprise DYK pour la prévenir qu'elle est l'objet d'une action de boycott de l'ensemble de ses produits. Il est précisé que le début du boycott sera effectif à dater du (trois semaines plus tard, par exemple). On spécifiera l'objet du boycott et les changements attendus qui permettraient d'éviter le boycott ou qui permettront de l'interrompre.

Dans cette étape, il s'agit de faire un exemple et de démontrer l'efficacité de l'action.

Cinquième étape : Avertir les autres entreprises et déployer d'autres actions si nécessaire.

En parallèle, toutes les autres entreprises ségrégatives du secteur seront renseignées sur cette action à l'encontre de DYK ainsi que sur son objectif. Elles seront également informées qu'elles ne sont pas concernées par ce premier boycott, mais que toutes celles qui persisteraient dans cette voie de ségrégation physique pourraient être concernées par la suite. Elles deviendraient alors l'objet d'un boycott de ce type, mais cette fois, sans préavis. Aucune échéance ni aucune indication de date prévisible ne sera fournie.

Si besoin, donc, on déploiera une autre action jusqu'au recul définitif de toutes les entreprises du secteur qui résisteraient encore. On le fera après la victoire actée de l'action précédente. Pour cette nouvelle charge, on appellera de nouveau au boycott d'une seule d'entre elles, mais dans une version « sans préavis et sans concession ». On l'accompagnera de toutes les actions de communication possibles pour mettre en cause de façon publique l'entreprise, sa culture ségrégative et son image de marque. On considérera que les personnels de ces entreprises sont des alliés du boycott et on les traitera dans ce sens et avec beaucoup de respect. On considérera également que les actionnaires et les personnes influentes qui gravitent autour de ces entreprises sont nos partenaires. En effet, tous ces acteurs ont intérêt à limiter l'impact négatif sur l'entreprise. Les personnes physiques ne sont pas la cible du boycott, mais uniquement les marques et les entreprises.

Sixième étape : Enregistrer et communiquer sur les victoires.

Enfin, le boycott comprend une action de valorisation des entreprises qui ont cédé aux demandes et modifié leur comportement et leur approche culturelle de la question. Cela passe par un renforcement de l'image positive de celles qui franchissent le pas. Le seul but de l'action était d'obtenir le changement attendu. On le valorisera donc lorsqu'il arrivera, quels que soient les motifs pour lesquels l'entreprise a changé de cap. Il faut que les entreprises aient quelque chose à y gagner.

Nous pensons que le boycott est une méthode extrêmement efficace pour le citoyen pour obtenir ce qu'il revendique, mais pas dans sa forme actuelle. Il est aussi efficace que le vote, car il permet de surcroit de faire plier un pouvoir économique très puissant et assez peu impressionnable. Il est plus efficace que la manifestation ou la pétition et beaucoup moins exigeant quant au temps passé dans l'action. Il est répétable à l'infini si les objets du boycott sont nobles et consensuels. Etc. Enfin, les nouveaux moyens de communication sont des outils parfaitement adaptés aux nécessités d'organisation d'un boycott de ce type.

Vous ne manquez certainement pas d'idées et vous trouverez certainement des promoteurs crédibles pour de telles actions. Alors : à vos boycotts ! Prêts ! Partez !

Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d'espoir », Éditions L'Harmattan
Image : Craiyon.com