M. Macron et l'État palestinien : vraie quête personnelle et fausse reconnaissance

Comment comprendre que l'annonce d'une reconnaissance conditionnelle est fallacieuse alors que l'on sait que les conditions requises ne seront pas réunies ? Ce n'est pas sous un angle politique que nous allons regarder cela, mais sous un angle psychologique ; ce qui est finalement notre métier.

RÉFLEXION

Frédérique DAMAI

4/15/2025

Contrairement aux fantasmes des historiens (pour les dirigeants morts) et des politologues (pour les dirigeants vivants), le fonctionnement psychologique de l'élite est propulsé par les mêmes schèmes motivationnels que celui du vulgaire. On y trouve donc le meilleur, dans sa version sublime, tout autant que le pire.

Par ailleurs, plus le régime est autocratique, plus la politique qui est conduite sera dépendante de ce fonctionnement psychologique. Or, la conduite de la politique internationale en France est autocratique, pour ne pas dire monarchique. Il est alors tout naturel que nous retrouvions les qualités et les travers psychologiques de son dirigeant : M. Macron. Malheureusement, dans ce dossier palestinien, comme dans de nombreux autres, ce sont surtout les travers qui s'expriment. Florilège.

Guerre entre Russie et Ukraine, acte 1 : des humiliations qui rendent le président belliqueux

Jusqu'en février 2022, M. Macron s'est fait le champion d'une diplomatie possible avec la Russie. En témoignent les nombreuses rencontres entre le président et « son ami », M. Poutine, qu'il tutoie : Versailles (mai 2017), Saint-Pétersbourg (mai 2018), Brégançon (août 2019), Élysée (décembre 2019). Dans un climat de tension grandissante, la dernière rencontre a eu lieu le 7 février 2022 au Kremlin autour d'une table qui séparait les deux interlocuteurs de 6 mètres. M. Macron était encore persuadé de son aura internationale, capable d'éviter un conflit armé. 17 jours plus tard, M. Poutine déclenchait l'invasion de l'Ukraine.

Cette première déconvenue internationale en annonçait beaucoup d'autres. Cependant, dans un premier temps, le président a semblé rester dans la mesure :

  • D'une part, parce qu'il espérait encore sauver les apparences quant à son pouvoir international en multipliant les démarches pour obtenir des concessions « humanitaires » auprès de M. Poutine. Sept communications téléphoniques entre les deux présidents sont répertoriées en mars 2022. Quant au soutien militaire de la France à l'Ukraine, sa finalité formulée à l'époque se bornait à « renforcer le coût pour la Russie de la poursuite de ses opérations militaires ». Ce coût deviendrait tel qu'il forcerait M. Poutine à aller vers des négociations.

  • D'autre part, nous sommes en pleine campagne présidentielle en France et M. Macron sait qu'il doit momentanément ronger son frein et montrer un visage d'équilibre. Il doit en conséquence osciller entre fermeté et pondération pour feindre de laisser une porte ouverte à la paix. Autrement dit, l'enjeu de la réélection est tel qu'il réussit à faire tenir la digue anti-caractérielle qui va cependant alimenter sa rancune contre le tsar.

Une fois les élections passées, le ton va notoirement changer et la volonté d'en découdre avec celui qui l'a humilié va devenir une obsession du président. Il ne s'agit plus de renforcer le coût de la guerre pour la Russie. À l'abri derrière le belliqueux M. Biden, il s'agit cette fois de donner les moyens à l'Ukraine de faire franchement la guerre à la Russie et, pourquoi pas, rêver de la gagner. Tout cela ira crescendo, l'air de rien, mais avec une volonté irrépressible de revanche. En février 2024, tout en prétextant une ambiguïté stratégique, il évoque même l'envoi de troupes en Ukraine.

Les blessures narcissiques de M. Macron vont entretenir les deux scénarios du pire : augmenter les tensions internationales autour de ce conflit et tuer dans l'œuf la moindre initiative de solution négociée.

La politique africaine de M. Macron part en lambeaux

Le signe le plus patent de la perte d'influence de la France sous la présidence de M. Macron est l'évacuation de ses forces militaires et la cession de ses bases dans plusieurs pays.

On évoquera bien évidemment le rôle des coups d'État et des juntes militaires. Cependant, il n'y a pas si longtemps, c'était la France elle-même qui les initiait ou les empêchait.

Résultat de cet effritement : éjection du Mali, du Niger, du Burkina Faso, du Tchad, de la Côte d'Ivoire.

Cette fois, les réactions caractérielles du président n'ont pas attendu longtemps et les précautions oratoires ont été moins nombreuses. Et ceci bien avant novembre 2024.

Face à la situation au Mali, le président Macron disait encore en mai 2021 : « Nous sommes prêts dans les prochaines heures à prendre des actions ciblées contre les protagonistes », c'est dire.

En octobre 2021, il déclarait : « Sans la France, le Mali serait dans les mains des terroristes ».

En août 2023 : « Si nous ne nous étions pas engagés, avec les opérations Serval puis Barkhane, il n'y aurait, sans doute, plus de Mali, plus de Burkina Faso, je ne suis même pas sûr qu'il y aurait encore le Niger ».

En novembre 2024 : « Je le dis pour tous les gouvernements africains qui n'ont pas eu le courage vis-à-vis de leurs opinions publiques de le porter, aucun d'entre eux ne serait dans un pays souverain si l'armée française ne s'était pas déployée dans cette région ».

La rancune est tenace et se résume ainsi : les dirigeants africains ont « oublié de nous dire merci ». « C’est pas grave, ça viendra avec le temps » a également ironisé le président français lors de la réunion annuelle des ambassadeurs de France. On dirait du M. Trump avant l'heure, non ?

Elections européennes, le nouveau monde de M. Macron part en sucettes

Suite aux tristes 14,60 % de la liste « Liste Renaissance, Modem, Horizons et UDI » qu'il a adoubé, le président Macron a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale.

Sauf que c'est seulement une heure après les résultats. Si cela n'est pas typique d'une réaction caractérielle.

Guerre entre Russie et Ukraine, acte 2 : des humiliations qui rendent le président encore plus belliqueux

Après avoir été jeté par M. Poutine, c'est M. Trump qui met le président Macron sur la touche. On connaît la suite. Désormais humilié par le président américain, il devient le chef de file de l'antiaméricanisme et le leader en sous-chef (n'oublions pas la présidente de l'Europe) d'une sorte d'OTAN européenne. La susceptibilité maladive de leur président va finir par coûter cher aux contribuables français.

Palestine : les comptes à régler avec M. Nétanyahou

Si l'on en croit l'efficacité des appels à la retenue du président Macron à l'attention de M. Nétanyahou, on peut dire que le premier n'a pas cessé de prêcher dans le désert. Et ça, le président français n'aime pas du tout : passer pour un sert-à-rien.

Le problème des enfants caractériels, c'est que lorsqu'on ne s'occupe pas d'eux, ils font tout pour se faire remarquer.

Las de la surdité du chef israélien, il sort l'artillerie lourde en octobre 2024. Après une nouvelle demande infructueuse par rapport au Liban, il se prononce pour l'arrêt des livraisons d'armes à Israël. Après la colère de M. Nétanyahou, le président français en rajoute une couche érudite : « M. Nétanyahou ne doit pas oublier que son pays a été créé par une décision de l'ONU. Et par conséquent, ce n'est pas le moment de s'affranchir des décisions de l'ONU ». La réponse d'Israël n'a pas été moins verte.

Dans l'affaire, chacun a parfaitement géré ses besoins narcissiques, malheureusement la paix avait peu de chance d'avancer.

Passons sur les nombreuses autres déclarations de M. Macron à la cantonade pour réclamer un apaisement : puisque l'on fait désormais de la diplomatie avec « X ».

Et voilà que M. Trump débarque dans le dossier pour y mettre son grain de sel. Nouvelle humiliation pour M. Macron.

L'occasion devient trop belle de lutter contre deux ennemis à la fois (M. Nétanyahou et M. Trump) en allant jouer le mauvais objet auprès de nos très démocratiques amis et chantres de la liberté : l'Égypte et l'Arabie Saoudite. (Attention, il ne s'agit pas de juger ici du plan proposé par ces pays, qui a le mérite d'exister.)

Et comme si ce rapprochement ne suffisait pas au règlement de compte avec les susnommés, M. Macron évoque l'éventuelle reconnaissance d'un État palestinien.

Sauf que nous sommes une fois encore uniquement dans les motivations personnelles du personnage. Et, contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette déclaration n'annonce rien de positif.

Soit, on reconnaît un État palestinien, soit on ne le reconnaît pas

La question de la reconnaissance d'un État palestinien est un sujet sur lequel il est possible de trancher immédiatement. Soit, on reconnaît la légitimité d'un État palestinien, soit on ne la reconnaît pas. Il n'existe aucune condition circonstancielle qui justifie d'attendre.

En réalité, comme les autres, M. Macron n'a pas l'intention de reconnaître un État palestinien, sinon il l'aurait fait depuis longtemps.

Au mieux, il rêve de reconnaître un gouvernement palestinien (qu'il aurait sans doute parrainé). Une fois ce gouvernement reconnu, peut-être qu'alors… En fait, il refuse de reconnaître un État qui déciderait de son propre destin. C'est une nouvelle fois tout l'esprit colonialiste qui est dissimulé derrière cette fausse bonne intention.

Il exige un État palestinien qui réponde aux exigences de l'Occident et d'Israël. En clair, la reconnaissance par Israël du gouvernement palestinien, qui porterait le projet, serait une condition sine qua non. Donc ce n'est déjà plus un projet d'État, mais de département israélien.

Voilà des décennies que l'on perçoit ce discours d'ingérence. Si l'on avait reconnu un État palestinien beaucoup plus tôt, qui dit qu'on en serait là ?

Reconnaître Israël hier comme aujourd'hui, c'est lui laisser la gouvernance de son pays, même si on n'approuve pas celle-ci. Reconnaître la Palestine, ce sera reconnaître la gouvernance de son pays, sans avoir à l'approuver à l'avance.

Si le président français cherche des sources sérieuses sur ce dossier, nous l'invitons à s'intéresser au Sommet des Peuples pour la Paix à Jérusalem, les 8 et 9 mai 2025. Une initiative qui réunit une soixantaine d’organisations israélo-palestiniennes, avec des histoires, des stratégies et des contextes politiques différents, mais toutes fortement orientées vers la paix. (1)

Dans la quête personnelle de reconnaissance internationale du président français, l'État palestinien est un dossier comme les autres.

Il répond à des exigences domestiques : exister, ne supporter aucune adversité et régler ses comptes. Et lorsque la coupe est trop pleine : changer de sujet et trouver un nouveau terrain d'expression narcissique.

Il s'est mis en avant comme l'interlocuteur qui pouvait faire entendre raison à la Russie. Après l'échec patent, il est devenu le leader des faucons anti-russes. Face aux pays d'Afrique qui ne sont plus aux ordres et qui le disent, il insulte et ironise. Face aux Français qui le désapprouvent, il dissout brutalement l'Assemblée nationale. Pour toiser la trahison de M. Trump, il veut créer une OTAN bis en Europe. Et pour se remettre au centre de l'actualité, il parle de reconnaissance d'un État palestinien.

Le prince, caractériel et rancunier, joue sa partition. Certains admirent son habileté : quand il s'agit de décisions qui engagent des vies humaines, le terme est choquant. D'ailleurs, cette sorte de fascination pour tout ce qui s'apparente à Machiavel est intrigante. Le machiavélisme est d'un niveau mental de 6 ans. Tous les parents victimes de leurs enfants tyrans l'ont appris à leurs dépens.

Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d'espoir », Éditions L'Harmattan
Image : Craiyon.com


(1) https://www.pressenza.com/fr/2025/04/vers-le-sommet-des-peuples-pour-la-paix-a-jerusalem-les-8-et-9-mai-entretien-avec-lun-des-organisateurs-maoz-inon/