Les fous de guerre sont lâchés
On savait messieurs Donald Trump, Kim Jong-un, Vladimir Poutine, Benyamin Nétanyahou et consort du clairon et de la baïonnette. Concomitamment, donc, on savait que rien du cynisme martial ne nous serait épargné.
RÉFLEXION
Frédérique DAMAI
1/30/2025


Pourtant, l'arrivée du nouveau shérif expliquerait-elle l'inflation dans le domaine ? On n'en sait rien et pour tout dire, on s'en tape. Toujours est-il que la pandémie de connerie se répand à la vitesse du napalm sur une assiette de rouleau de printemps.
On a découvert, il y a quelques mois, le génie d'un nouvel animateur des soirées de la grande muette. Le bien nommé Mark Rutte est le nouveau secrétaire général de l'autre « machin » : l'Otan. Son titre, lui laissant croire qu'il était devenu général, lui a inspiré des propos historiques : « Il est temps de passer à un état d’esprit de temps de guerre ». En effet, si l'on en croit les entrailles de poulet, les Russes sont à notre porte, et les chapkas sont déjà en rupture au marché noir. Il en a profité pour militer pour une augmentation des dépenses militaires : ouf, il n'a pas oublié, car il avait tricoté tout le reste pour ça !
Sitôt dit, sitôt transcrit. Les petits copistes de la presse européenne ont soigneusement léché la mine de leur crayon pour diffuser au peuple cette bonne parole de ce haut responsable de la branche escrotique de l'industrie de l'armement occidental. Pas la moindre réserve, pas la moindre analyse critique : on préfère les bisbilles de la politiquette.
Dans les prix que l'on attribuera aux comiques troupiers, il ne faudra pas oublier tous les récents ministres de la Défense français. Et, fin 2024, le lâché de bombinettes en Syrie entre la dinde et le foie gras appelle une nomination. On trouverait presque sympathique l'offuscation de notre offusqué national si son offuscation n'était pas partisane. Mais nous ne désespérons pas qu'un jour il rejoigne réellement le pacifisme qui, par définition, n'a pas de camp (1).
Et les petits copistes de la presse ont léché la pointe de leur crayon, etc.
L'avantage des concours d'âneries, c'est qu'il tombe tous les jours de nouvelles inscriptions. Il n'y avait donc aucune raison que le sieur Hubert Bonneau, directeur général de la gendarmerie nationale, n'y aille pas de sa petite prédiction. « Depuis l'invasion russe en Ukraine, la possibilité d'un conflit armé et d'une agression du sanctuaire national doit être sérieusement envisagée ». Rien que ça. Heureusement que le corps de gendarmerie a l'air plus lucide que son patron.
Quant aux petits copistes de la presse, ils ont léché la pointe de leur crayon, etc.
Une mauvaise langue sur notre droite nous souffle qu'ils ne lèchent plus la pointe de leur crayon et qu'ils se contentent désormais de faire des copier/coller des dépêches de l'AFP. C'est fou ce que les gens ont mauvais esprit.
Mais que cachent vraiment toutes ces gesticulations ?
L'excellent article des universitaires québécois Samir Saur et Michel Seymour (2) nous apporte une partie de la réponse vue du côté américain. Du côté européen, la situation est un peu la même tout en étant différente.
Il est certain que la perte d'influence de l'Occident est en cause dans tout ce qui se passe en ce moment. C'est vrai pour l'Amérique, mais la limite de son pouvoir de résistance à ce déclin nous est inconnue. La question se pose différemment en Europe.
Quoi qu'il en soit, lorsque l'on est en perte d'influence hors de son territoire et sur son propre territoire, le contre-feu nationaliste est l'issue ordinaire ; quitte à l'étendre à un continent virtuel. On invente un nouveau roman continental autour du concept valise de liberté ou autre (la cause légitime) pour racoler tout ce que l'on peut. Puis, on brandit la menace de guerre contre la cause légitime pour tenter de créer une unité artificielle face à des adversaires imaginaires.
Premier soubresaut : diminution des sphères d'influence de l'Europe
La sphère d'influence de l'Europe occidentale, (hors ou intracommunautaire) diminue et se retrouve bousculée à trois niveaux.
La sphère d'influence sur les anciennes colonies
C'est la France qui est la plus touchée au cours de ces dix dernières années. Nous ne sommes pas là pour en analyser les causes, assez évidentes cependant. Ce ne sont pas les signes avant-coureurs répétés qui ont manqué. En désespoir de cause, on avait donc tenté là-bas aussi le coup de la guerre salvatrice que l'on mènerait à leur côté. Et comme il n'y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, on se retrouve désormais sommé de déménager notre armée manu-militari. Tout cela, bien entendu, est le fruit de puissances étrangères qui manipulent ces pauvres gens et nos erreurs n'ont rien à voir là-dedans. Peu importe, car le résultat est le même, une perte d'influence de l'Europe occidentale en Afrique.La sphère d'influence sur le plan de l'Europe géographique.
Le schéma était pourtant bien imaginé : la montée des classes moyennes permettrait de faire tomber les pays les uns après les autres dans l'escarcelle du libéralisme à l'occidentale. Le reste suivrait : la démocratie à notre sauce et l'effondrement de tous les autres modèles. Patatras, la théorie est la théorie et la pluriversalité du monde répond beaucoup mieux de la réalité de la différence entre les peuples que l'universalisme eurocentriste. Face à cet échec, une stratégie s'est imposée. Utiliser des sphères d'influence locales dévouées à l'Occident pour faire avancer un expansionnisme institutionnel. Faire adhérer à marche forcée des pays à la Communauté européenne et d'autres à l'OTAN pour maintenir artificiellement le mur territorial de l'influence que l'on entend sauvegarder. L'universalisme totalisant ne doute pas que tous les peuples du monde béniraient une telle offre. Le refus ne peut donc venir que de forces malveillantes… ou d'une simple perte d'attractivité et d'influence économique, politique et sociétale.La sphère d'influence mondiale en lien, ou non, avec les USA.
Que deviendrait l'influence réelle de l'Europe si les USA avançaient encore un peu plus vers un unilatéralisme effréné ? Pas grand-chose, probablement. C'est donc pour cela qu'elle a tout intérêt à maintenir toutes les ficelles d'un récit manichéen entre l'Occident et le reste du monde. Si cette grosse ficelle doit faiblir, voire se casser, alors l'Europe sera seule. Car elle s'est voulue seule en s'isolant du reste du monde avec son ami unique, l'oncle Sam, qui commence à calculer le coût/bénéfice de son amitié. Et si les grandes décisions de demain se prenaient sans consulter l'Europe ?
Second soubresaut : les démocraties européennes bousculées de l'intérieur
Pourtant, le ciel était dégagé. Le fascisme avait été mis en faillite par le nazisme et les derniers Franco n'avaient pas donné envie d'y goûter. L'expérience communiste des soviétiques et autres Mao avaient également vidé l'intérêt d'un remix.
La voie d'un libéralisme économique assorti d'une forme de libéralisme sociétal était grande ouverte et devait pouvoir durer… une éternité.
Où cela a-t-il déconné, alors ?
Peut-être faut-il rappeler que le libéralisme, quel que soit son degré, est fondé sur un modèle de compétition. Et, comme dans toute compétition, il y a des gagnants et des perdants. Nous ne parlons pas des gagnants qui naissent avec le trophée dans la bouche, mais de tous les autres.
Même en respectant une équité de départ, la compétition est toujours la base.
Que l'on soit clair. Gagnants ne veut pas dire supérieurs (même s'ils le croient) et perdants ne veut pas dire inférieurs. Nous parlons ici uniquement de gagnants et perdants dans les compétitions institutionnelles : école, formation, diplôme, qualification professionnelle… et par voie de conséquence ordinaire : emploi, rémunération, conditions de vie, etc.
Les perdants peuvent avoir des vies tout aussi épanouies que les gagnants, mais dans des conditions financières et sociales plus précaires. Et dans certains cas, cette précarité dépasse le cadre de l'acceptable.
Il fut un temps où, par exemple, communistes et socialistes se préoccupaient de tous les gens qui ont parfois besoin de plus de structures publiques. Cela équilibrait le système.
Sauf que la politique est également une compétition. Ceux qui gagnent et arrivent au sommet se retrouvent alors tout aussi éloignés des perdants que les autres : communistes et socialistes compris. Ainsi, on a laissé tomber les perdants pour s'intéresser exclusivement au sort des gagnants, dirigés par des gagnants : c'est de cette façon que l'on construit une oligarchie.
La compétition inhérente au libéralisme nécessite une attention bienveillante pour éviter qu'une défaite se transforme en souffrance insurmontable. On semble l'oublier.
Et maintenant, on a définitivement perdu ceux qui ne veulent même plus participer aux compétitions du système et qui trouvent dès leur enfance d'autres compétitions locales, plus glauques, mais immédiatement plus lucratives : drogues, criminalités…
Les autres se révoltent parce que personne ne veut plus les entendre.
Il se peut même qu'à défaut d'une solution pour eux, le désespoir pousserait certains à se contenter d'une revanche contre les gagnants… Qui sait ?
Quant à ceux qui trouvent méprisant que nous parlions de gagnants et de perdants, nous pensons qu'il est beaucoup plus méprisant de faire comme si cette réalité sociale inhérente au libéralisme et au libéralisme sociétal n'existait pas.
D'autres thèses plus savantes et plus intelligentes donneront des explications plus académiques à la montée des propositions politiques autoritaires en Europe. Peu importe.
De toute manière, les dirigeants en place n'y comprennent rien et préfèrent les invectives aux analyses. Le simple fait que cela soit incompréhensible pour eux est la démonstration structurelle d'un modèle oligarchique, soutenu par une presse du même tonneau.
Les contre-feux coutumiers
Toutes ces gesticulations guerrières sont donc malheureusement les contre-feux ordinaires de la faillite des politiques à trouver des solutions pacifistes et non-violentes en période de crise. Et nous sommes bien en période de crise, de mutation, de repositionnement des plaques tectoniques. En période de crise à l'extérieur et à l'intérieur de chaque pays. Pourtant, rien ne justifie cette hystérie qui voudrait ranimer artificiellement une sorte de sentiment national, voire supranational, de la pire des espèces.
Ou alors, en filigrane, la nécessité de faire tourner le business de la guerre et la fabuleuse industrie européenne de l'armement ?
Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d'espoir », Éditions L'Harmattan
Image : Craiyon.com