Inde-Pakistan : couvrez ces armes que je ne saurais voir

Chaque jour et sans relâche, l'idéal pacifiste doit dénoncer les impostures et les hypocrisies de la doctrine « solution par la guerre ». Non pas pour convaincre des peuples convaincus, mais pour créer un tapage qui empêche les marchands de mort de dormir sur les deux oreilles de leur prosélytisme intarissable. Les graves tensions Inde-Pakistan mettent une fois encore l'accent sur le cynisme du business de la guerre.

RÉFLEXIONACTIONS POUR LA PAIX

Frédérique DAMAI

5/6/2025

Inde – Pakistan, une situation explosive

Rien ne va entre ces deux pays depuis la partition de l'Inde en 1947 qui marquait la fin de l'ère coloniale britannique. D'un côté, l'Inde regroupée derrière une majorité hindoue et de l'autre, le Pakistan regroupé derrière une majorité musulmane. La mise en œuvre de cette première partition a donné lieu à des massacres qui ont entraîné des centaines de milliers de morts.

S'ensuivra le conflit entre les deux pays pour la possession de la région du Cachemire. Cette revendication réciproque donnera lieu à trois conflits armés ouverts (1947-1948, 1965-1966 et 1999) et à de multiples escarmouches toujours d'actualité.

En 1971, la partition du Pakistan, qui va conduire à la création du Bangladesh (soutenu par l'Inde), est un nouvel épisode tragique qui creuse encore plus le fossé entre les deux pays.

Le conflit prend la forme d'attentats depuis les années 2000. L'attentat de Mumbai de 2008, de Mulwama en 2019 et le récent attentat au Cachemire montrent, s'il en est besoin, l'inflammabilité de la région.

Partant de ce constat, on se dit que la sagesse occidentale va encourager les pouvoirs locaux à aller vers les solutions diplomatiques. On imagine assez mal que l'on se mette à jeter de l'huile sur le feu et à avoir le cynisme de profiter de la situation. Et pourtant si !

Livraison d'armes… aux deux parties !

Quand deux pays sont au bord du conflit, on peut leur fournir des drapeaux blancs ou des armes : les Européens ont choisi les armes (pays dans et hors Union européenne). Ils ne sont pas les seuls, mais si nous parlons d'eux, c'est parce qu'ils pérorent honteusement de leur philosophie humaniste et pacifiste. Ce type de matraquage et de fourberie d'État est le pire venin contre la paix.

Nous ne l'avons pas rappelé, mais l'Inde et le Pakistan sont toutes deux des puissances nucléaires. Sur ce sujet, nous n'avons pas trouvé de sources suffisamment documentées pour montrer l'aide européenne dans le processus de dotation de ces armes, même si l'on sait que les transferts de technologie ont été nombreux.

En revanche, pour ce qui est de l'armement classique, nous avons tout ce dont nous avons besoin grâce à la base de données du SIPRI (STOCKHOLM INTERNATIONAL PEACE RESEARCH INSTITUTE).

  • Les pays européens qui fournissent des armes à l'Inde depuis 20 ans (voir tableau complet ci-dessus). Ces données ne prennent pas en compte les commandes en cours, mais uniquement les commandes déjà honorées. En gras, les pays qui mangent aux deux râteliers.

    La France (16 commandes), L'Allemagne (9 commandes), l'Italie (7 commandes), les Pays-Bas (1 commande), la Pologne (4 commandes), la Suisse (1 commande), le Royaume-Uni (6 commandes)

  • Les pays européens qui fournissent des armes au Pakistan depuis 20 ans (voir tableau complet ci-dessus). Ces données ne prennent pas en compte les commandes en cours, mais uniquement les commandes déjà honorées. En gras, les pays qui mangent aux deux râteliers.

    La Belgique (1 commande), la France (6 commandes), l'Allemagne (8 commandes), l'Italie (13 commandes), la Lituanie, les Pays-Bas (3 commandes), l'Espagne (1 commande), la Suède (3 commandes), la Suisse (4 commandes), le Royaume-Uni (4 commandes)


Que fait l'Union européenne ? (hors Suisse et UK aujourd'hui)

En 1998, le Code de conduite de l’UE sur les exportations d’armements proposait huit critères pour harmoniser l'exportation d'armes, dont celui de la stabilité régionale… C'est ce que l'on appelle des recommandations efficaces.

Il était tout aussi question de droits de l'homme et autres zakouskis de ce genre dont on finit par se demander quelle en est la signification réelle. À moins que l'on en comprenne bien la logique suivante. Si un pouvoir indien fait tuer des Indiens ou si un pouvoir pakistanais fait tuer des Pakistanais, il y a violation des droits de l'homme. En revanche, si un pouvoir indien fait tuer des Pakistanais ou un pouvoir pakistanais fait tuer des Indiens, il y a respect des droits de l'homme. À moins encore que ce ne soit uniquement dans l'hypothèse où ces crimes soient perpétrés avec des armes européennes.

Quelle justification ?

On connaît les justifications par cœur, mais il ne faut jamais cesser de les détruire.

Certains pays feront savoir qu'ils ne livrent plus d'armes à l'un des deux pays depuis 10 ans. Certes, mais cet argument fallacieux finit par donner raison aux pacifistes.

D'une part, les armes qui ont été livrées il y a plus de 10 ans sont toujours opérationnelles et leur pouvoir de destruction ou d'aide à la destruction est indemne.

D'autre part, cesser de livrer des armes à un pays signifie reconnaître que l'on s'est trompé. Or, si l'on s'est trompé sur ce pays à l'époque, qui nous dit que nous ne nous trompons pas en permanence actuellement en livrant des armes à n'importe qui ?

L'autre argument connu est d'affirmer que l'on livre uniquement des équipements destinés à la défense du pays en question : il suffit de regarder les données du SIPRI pour comprendre qu'il n'en est rien.

Des pistolets à bouchon

Quant à l'ultime argument, il atteint les cimes de la manœuvre grossière.

Il faudrait croire que chaque livraison d'arme est assortie de règles d'utilisation de ces dites armes qui prémuniraient de l'indignité d'armer simultanément deux belligérants. Autrement dit, il nous faudrait croire que l'Inde et le Pakistan s'arment dans l'hypothèse où ils seraient attaqués par l'Islande et le Costa Rica (deux pays sans armées). En revanche, l'armement qu'on leur fournit n'a rien à voir ni à faire dans le conflit régional qui les oppose.

Est-il d'autres secteurs où l'on falsifie avec un tel aplomb ? D'autres secteurs où l'on méprise les peuples au point d'inventer de telles fables et de parier qu'ils les goberont ?

Le conflit entre l'Inde et le Pakistan est un conflit tragique, parce qu'il est ancré dans des décennies de haines accumulées, de discours patriotico-religieux poussés à leur caricature. Dans ce champ de haine, tout le monde attend des paroles et des actes qui puissent tendre vers la paix, sans déjà parler de réconciliation. Ce sont bien sûr les Indiens et les Pakistanais qui sont les mieux placés pour travailler à cela. Quant à nous, nous nous devons au moins de les encourager et d'accompagner tout ce qui se profile en ce sens.

Quelle place occupe la livraison d'armes dans une telle nécessité ?

Nous savons aujourd'hui qu'il n'y a pas d'autre issue que de sortir de la doctrine « solution par la guerre ». Mais nous savons aussi que l'industrie de l'armement représente une telle manne, un tel nombre d'emplois directs et indirects, que ces deux éléments sont la raison principale qui empêche le pacifisme d'avancer.

Il existe une solution pour mettre en difficulté cette industrie de la mort, elle passe par la fragilisation de son financement. Mais ceci est une autre histoire.

Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d'espoir », Éditions L'Harmattan
Image : Frédérique DAMAI, d'après sources SIPRI