Jackpot pour l'industrie de la mort, sur un tissu de mensonges
Le camouflage fait partie depuis toujours de l'arsenal militaire, mais également de l'arsenal civil si l'on en croit ce que l'on nous claironne. Plusieurs techniques y sont d'ailleurs associées, telles que les métonymies, métaphores ou autres euphémismes. Tout cela s'accorde pleinement avec les mensonges effrontés que l'on nous inocule en intracérébral.
RÉFLEXION
Frédérique DAMAI
3/26/2025


Non, il n'est pas question de défense, mais de guerre
S'il s'agissait uniquement de défense, les deux puissances nucléaires que sont le Royaume-Uni et la France ont tout ce qu'il faut, n'est-ce pas ? C'est du moins ce que l'on nous conte depuis des décennies. Donc, si ces deux pays doivent s'armer, c'est bien pour aller faire la guerre hors de leur territoire. On est d'accord, non ? Pour qui, pourquoi et contre qui ?
Car si l'on parlait réellement de défense, on parlerait avant toute chose de diplomatie.
Nous, citoyens, savons nous défendre, tous les jours et sans arme. Le discours de nos dirigeants ressemble à s'y méprendre à celui des défenseurs du deuxième amendement américain. Vous savez, celui dont l'interprétation abusive permet de fournir des armes à n'importe qui. L'Europe trouve une majorité de porte-parole éclairés pour dénoncer cette escalade mortifère et développer moult arguments forts sensés contre cette chimère sécuritaire. Pourtant, c'est exactement cette logique qu'ils prônent au niveau des nations ?
Nous, citoyens, savons nous défendre, parce que nous savons que nous ne pourrons pas survivre ni vivre sainement dans le conflit. Ni avec les plus faibles, ni avec les plus forts. En situation, nous discutons, nous négocions, nous contournons, nous évitons et nous sommes parfois dans la concession : y a-t-il une honte à cela ? On ne peut pas vivre en paix dans la provocation permanente. Sauf peut-être le jour où nous sommes avec nos dix potes rugbymen et que nous nous sentons plus forts que le colosse qui nous a marché sur le pied.
Aujourd'hui, on ne nous prépare pas à nous défendre, mais à aller faire la guerre pour d'autres. Pour d'autres qui auront eu (et ont déjà) des diplomaties agressives et aventureuses avec leurs voisins, uniquement parce qu'ils savent qu'ils seront soutenus par un trust que l'on baptise Europe. Armer le trust Europe, c'est encourager les errements diplomatiques de pays qui s'imaginent autorisés à tout : c'est cela la réelle menace actuelle de conflit armé.
Si elle n'était pas soutenue par ce consortium militaro-industriel, la diplomatie des pays à l'est de l'Europe serait beaucoup plus saine, beaucoup moins provocatrice, moins belliqueuse et plus pacifiste. Car, il est toujours une chose que négligent les tenants des solutions belliqueuses : l'intelligence humaine. Tous les humains ne se réduisent pas à une moelle épinière.
Et si l'on veut vraiment parler de défense, n'oublions pas qu'il existe de multiples façons de mobiliser un peuple, y compris des moyens non-violents.
Mais avant tout cela, il faut chercher de nouvelles voies pour éviter les conflits armés. L'une des plus efficaces serait de sortir les pays des coalitions de soutiens armés ; laisser chacun gérer ses propres affaires avec ses propres moyens et rétablir ainsi les immenses vertus de la diplomatie locale. La voie de la paix est souvent celle d'une diplomatie de proche en proche, sans intervention extérieure.
Non, la finalité de l'armement n'est pas technologique, mais de déchiqueter des corps humains
Voilà ce que l'on nous vend. Quel serait l'intérêt de s'armer et de poursuivre le développement des technologies de l'armement ?
Détecter et neutraliser, éradiquer, éliminer des menaces,
Réaliser des interventions létales avec un impact contrôlé grâce aux technologies de pointe,
Obtenir une élimination ciblée grâce à des frappes chirurgicales,
Et toutes ces capacités miraculeuses que l'on a développées : capacité de pénétration, capacité de frappe multiplateforme, capacité de frappe à distance, capacité de frappe autonome, capacité de frappe en temps réel…
Et ces autres terminologies qui font rêver : impact cinétique, technologie de furtivité, systèmes de défense active…
Tel est un petit panel des euphémismes inventés par l'industrie de l'armement, relayés par les politiques, les faucons, la presse paresseuse et demain les banques.
Voilà maintenant la réalité. Toutes ces technologies n'ont qu'une finalité : déchiqueter des corps humains et tuer. Et forcément, à un moment ou un autre, mutiler des enfants, des femmes et des hommes qui se fichent de la guerre comme de leur première chaussette. L'armement, ce sont des millions de morts, de blessés, de handicapés dans le monde entier pour des motifs dont on avoue toujours 20 ans plus tard qu'ils n'étaient ni légitimes, ni justes.
La réalité de l'armement, ce sont les meurtres, les crimes et les assassinats. L'armement est une industrie de mort, aveugle et inhumaine parce qu'elle finit toujours au service de criminels déguisés en sauveurs.
Un dernier article en date nous propose un comparatif de la vitesse des avions de chasse. Mais ces avions ne sont pas là pour faire des courses de vitesse, mais pour tuer.
Pourquoi les publicités pour l'engagement dans l'armée ne montrent jamais des soldats qui tuent ?
Si d'autres secteurs peuvent prétendre que ce n'est pas la technologie qui nuit, mais l'usage que l'on en fait, pour l'armement, c'est plus difficile. Notre imagination est probablement trop étriquée pour concevoir d'autres finalités que de vouloir tuer l'autre.
Chacun choisit ce qu'il veut. On peut mettre son intelligence au service des autres ou au service de l'industrie de la mort des autres. On a le droit d'investir son argent dans le business de la guerre et de la mort. Le tout est de le faire en connaissance de cause, avec son consentement éclairé, comme on le dit dans d'autres milieux. Vendre de la défense quand on prépare la guerre et vendre des euphémismes lorsque l'on finance des machines à broyer et à déchiqueter des êtres humains innocents s'apparente à une démarche mensongère.
Non, l'Europe n'est pas le rempart du monde libre, ou alors quand cela nous arrange
Si l'Europe était le rempart de la liberté (et en particulier le dernier, comme elle le prétend), elle ne financerait pas des pouvoirs totalitaires et ne les aiderait pas militairement.
L'Europe compte cinq pays qui ont une activité de vente d'armes importante : l'Allemagne, L'Espagne, la France, L'Italie et le Royaume-Uni. Ils représentent 26 % des exportations mondiales (1). À qui vendent-ils leurs armes et leurs technologies militaires ? À d'autres remparts du monde libre dans le monde ?
Voici la liste de leurs 10 premiers clients de chaque pays entre 2020 et 2024 (1)
Allemagne : Ukraine, Égypte, Israël, Singapour, Hongrie, Corée du Sud, Turquie, USA, Algérie, Inde,
Espagne : Arabie saoudite, Australie, Turquie, Belgique, Canada, USA, Grande-Bretagne, Ukraine, Kazakhstan, Inde,
France : Inde, Qatar, Grèce, Égypte, OTAN, Brésil, Émirats arabes unis, USA, Arabie saoudite, Ukraine,
Italie : Qatar, Égypte, Koweït, USA, Turquie, Brésil, Ukraine, France, Turkménistan, Pologne,
Royaume-Uni : Qatar, USA, Ukraine, Inde, France, Chili, Arabie saoudite, OTAN, Grèce, Japon.
Que viennent faire l'Égypte, la Turquie, l'Algérie, l'Inde, Israël, l'Arabie Saoudite, le Kazakhstan, le Qatar, les Émirats arabes unis, le Koweït, le Turkménistan… ici ? C'est cela, la liste des derniers remparts du monde libre ? Des régimes autocratiques, des régimes ségrégationnistes, des régimes poursuivis pour crime de guerre, des pays où la liberté d'expression n'existe pas… Et l'on aurait pu poursuivre dans une énumération plus étendue de clients. On aime assez la liste flamboyante des nouveaux amis du monde libre : Ouzbékistan, Angola, Chine, Pakistan, Tunisie, Bahreïn et on en passe des aussi bons.
Non, l'Europe ne défend pas le monde libre lorsqu'elle vend des outils de mort (et dans bien d'autres domaines) : elle fait du business, comme les autres. Le reproche n'est pas là. Il est de considérer, comme à chaque fois, que les supposés ennemis de nos ennemis sont nos amis : logique insensée qui a toujours conduit à des catastrophes. Quand on connaît les relations parfois ambiguës de certains de ces pays avec le terrorisme, leur soft-power à l'encontre des droits de l'homme et particulièrement des femmes, leurs implications douteuses dans les conflits de la corne de l'Afrique et des autres parties du monde, comment peut-on les soutenir ?
Comment peut-on soutenir des régimes comme cela dans l'aspect le plus grave, l'armement, et s'autoproclamer le dernier rempart du monde libre. Et encore, ce n'est que le volet visible de notre ambiguïté en matière de monde libre. Nous passons ici sur le soutien et l'aide militaire apportés par la France sur le terrain à des régimes militaires ou totalitaires en Afrique, il n'y a pas si longtemps.
Comment peut-on mentir avec un tel aplomb ? Comment peut-on se mentir avec une telle morgue ? Comment des personnes intelligentes peuvent-elles accepter de véhiculer ce mensonge en connaissant parfaitement le cynisme de notre diplomatie européenne ?
Ce n'est pas parce que nous nous interrogeons sans cesse sur la vérité que nous ne savons pas reconnaître le mensonge. Et l'on n'a pas à respecter le délai habituel de 20 ans pour le dénoncer.
(1) Source: SIPRI Arms Transfers Database (c) SIPRI.
Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d'espoir », Éditions L'Harmattan
Image : Craiyon.com