La liberté sonnante et trébuchante : néodyme, dysprosium, europium, cérium & Co

Le scénario est toujours le même : devoir attendre des années, voire des décennies, pour que les critiques antiguerres de la première heure soient validées par les faits.

RÉFLEXION

Frédérique DAMAI

2/6/2025

Premier acte : les pacifistes sont des vendus

La posture à l'égard d'une guerre semble dépendre d'un facteur unique : qui a déclenché les hostilités, le jour J ? Cet événement désigne l'agresseur et l'agressé, et détermine tout ce qui adviendra par la suite.
À partir de ce précepte, ce qui s'était passé avant ce jour J n'existe pas et tout sera permis dans l'avenir pour celui qui a été agressé.
Le déni de l'origine complexe des conflits armés est total et tout celui qui conteste cette scotomisation est considéré comme prenant parti pour l'agresseur.
Sauf que le pacifisme n'a pas de camp, comme nous l'avons déjà expliqué ici (1), et qu'il renvoie les deux belligérants dos à dos du simple fait qu'ils légitiment l'utilisation de la guerre comme solution.
Donc, traiter les pacifistes de prorusses sous prétexte qu'ils interrogent l'origine de cette guerre que l'Occident mène contre la Russie par procuration (2), n'a aucun sens. L'acte de guerre initial de la Russie ne trouve aucune excuse ni aucune circonstance atténuante et tout pacifiste qui lui en trouverait une s'écarterait de son chemin. Une fois cela expliqué, est-on enfin autorisé à réfléchir ? Réfléchir à quoi ? Non pas à justifier, mais à comprendre l'histoire d'un engrenage dont l'issue tragique aurait pu être évitée. Il aurait fallu accepter de voir et d'analyser les catalyseurs de guerre en action et chercher sincèrement et humainement d'autres chemins.
Dans la même veine de manipulation, qualifier les pacifistes de pro-Hamas dans le conflit entre Israël et le Hamas, c'est décider d'être sourd et aveugle en utilisant le même déni sur l'origine du conflit. Quant à les qualifier d'antisémites, cela relève de l'endoctrinement le plus abject. Les pacifistes ne cautionneront jamais les actes terroristes et les actes de guerre du Hamas, pas plus qu'ils ne cautionneront les interventions et réponses armées de l'État israélien. Et rien ne nous empêchera de dire que cet état poursuit des objectifs de destruction systématique de toute initiative de solutions pacifistes, tout comme son adversaire.

Deuxième acte : le déni du passé

Si l'on en croit la propagande, le conflit en Ukraine et celui en Israël ont surgi comme un orage dans un ciel limpide. Tout allait bien et si ce ne sont des fous qui ont déclenché la guerre, tout aurait pu continuer ainsi mille ans, dans le meilleur des mondes.
Propagande là-bas, reproduite in extenso ici ! Nos médias ont été et sont les porte-paroles indéfectibles de tout ce que dit monsieur Zelensky et pour beaucoup, de ce que dit monsieur Nétanyahou. La vérité sur le passé, le présent et l'avenir ne peut venir que de la bouche de l'agressé, c'est bien connu.
On s'étonnera au passage du silence de certains grands mouvements pacifistes européens dans la période récente. Ils semblent être devenus des cercles de réflexion bon chic bon genre plutôt que des acteurs antiguerre. Aurait-on réussi à leur faire avaler toutes ces couleuvres ?

Troisième acte : la cause légitime

Faire la guerre est une chose, trouver des alliés en est une autre, convaincre les peuples de ces alliés en est également une autre et inventer l'argument qui les force au silence, une autre encore.
On ne pouvait pas soutenir la guerre en Ukraine au nom de l'OTAN, puisque l'Ukraine n'en faisait pas partie. Il n'est pas sûr non plus que cela aurait emballé les peuples appelés à être solidaires. Il fallait donc une cause légitime incontestable. Quoi de mieux que la Liberté avec un grand L, tant que l'on y est. Elle est la cause légitime parfaite : universaliste à souhait, floue, démagogique ma non troppo, adaptable au gré des circonstances, mais toujours indiscutable. Ceux qui connaissent un peu l'histoire de l'Ukraine seront ravis d'apprendre que ce pays est devenu subitement le symbole de la liberté, y compris sous la présidence de monsieur Zelensky.
Argument ultime donc : les pacifistes seraient, de plus, des gens qui ne sont pas prêts à se battre pour la Liberté.
Tous les autres y étaient manifestement prêts. D'ailleurs, où sont-ils passés ceux qui juraient qu'il ne faudrait jamais négocier avec la Russie de monsieur Poutine ? Ceux qui nous annonçaient, le doigt sur la couture du pantalon, une victoire sur une jambe contre l'armée russe ? Ceux qui ont prôné et défendu cette guerre ? Ceux qui ont prétendu que si l'on gagnait celle-là, ce serait la dernière ? Sont-ils à compter les morts inutiles ? Où sont-ils déjà à préparer leurs papiers sur la légitimité évidente du prochain conflit.

Pour Israël, la cause légitime est rodée depuis longtemps : tout ce qui s'oppose à ses intérêts est antisémite et toutes les critiques émanent de personnes qui n'ont pas retenu les leçons de la Shoah. Le plus étonnant est que l'entretien de cette confusion entre la critique de l'état d'Israël et l'antisémitisme est porté par des personnalités qui, pour tout le reste, apparaissent sensées. Ceci étant dit, s'ils veulent nourrir cette confusion en inventant tous les récits qui leur font plaisir, cela les regarde. En revanche, nous ne sommes pas leurs vassaux intellectuels et nous avons le droit inaliénable de dire que nous refusons et réfutons cette confusion sans devoir être ni accusé, ni insulté, ni jugé. Ces méthodes procèdent de l'utilisation dévoyée d'une rente mémorielle, dont Israël n'a  d'ailleurs pas l'exclusivité.

Quatrième acte : avoir été agressé autorise tout

Les exactions de l'armée israélienne dans les territoires palestiniens n'ont plus à être démontrées et ont été établies par de multiples organisations internationales. On remarquera que dans nos journaux, toute annonce d'une nouvelle preuve à charge contre Israël était immédiatement suivie d'un rappel en fin d'article des événements du 7 octobre, comme si ceci justifiait cela. Quant à ces exactions, on les oubliera rapidement et il ne faudra surtout pas en reparler si de nouveaux conflits voient le jour. Comme si le massacre de Palestiniens n'était pas le plus sûr moyen de fournir les guerriers de demain, donc le catalyseur d'une nouvelle guerre.

L'agressé bénéficie d'une rente de vengeance qui l'autorise à tout et lui confère manifestement une autorité morale. Il n'est pas passé une semaine sans que notre presse ne relaie les leçons de morale que monsieur Zelensky diffusait à l'attention du monde occidental, quand il ne l'admonestait pas du haut de son statut de victime. On a tellement perdu le sens à son égard que l'on a même relayé sur les chaînes de télévisions françaises des images diffusées par ce bon président exposant des prisonniers de guerre que l'on s'apprêtait à « interroger »…

Cinquième acte : enfin la vérité

En psychanalyse, le surmoi est censé endiguer certaines pulsions, à l'ancienne, le clapet est censé empêcher de dire des carabistouilles, en politique étrangère, les circonlocutions de la diplomatie sont censées masquer les aspirations et motivations réelles, toutes inavouables.
Le problème du nouveau président des USA, c'est que le surmoi ne fait manifestement pas toujours le job, qu'il n'est pas question qu'il ferme son clapet et que la dissimulation de ses intentions internationales n'est pas sa tasse de thé.
On peut s'en inquiéter, mais l'on peut aussi s'en réjouir si l'on veut connaître rapidement la vérité des motivations des puissances et de leurs dirigeants.
Voilà que le combat pour la Liberté en Ukraine retrouve les bas-fonds qu'il n'aurait jamais dû quitter. On veut bien aider un peu les Ukrainiens, en échange de l'exploitation des terres rares : c'est ce qui s'appelle avoir le mérite d'être clair.
Le pire est sans doute que certains continuent à penser que c'est ce président qui dévoie une noble cause qui était réelle. Il est vrai que lorsque l'on s'est compromis dans la propagande, les faux-semblants et les mensonges, il est difficile de convenir de ses erreurs. Mais il n'existe aucun faucon qui puisse avoir des intentions humaines louables. Tous les faucons du monde ont des arrière-pensées détestables qu'ils tentent de maquiller. Forcément, cela fait drôle lorsque l'un d'eux nous en livre la réalité cynique et froide.
Comme d'habitude, il faudra encore quelques années pour montrer que la cause légitime n'a été qu'une construction de propagande et que les intentions occidentales n'avaient évidemment d'autres intérêts que les intérêts occidentaux. On montrera que le « plan Ukraine » dont parle Mark Lesseraux (2) était bien un plan de guerre par procuration contre la Russie vieux de 20 ans.

Combien de temps cela va-t-il encore durer ? Le temps que les acteurs des propagandes guerrières se soient fait oublier ou aient pris leur retraite. De nouveaux acteurs arriveront qui pourront juger leurs aînés avec condescendance, alors que de l'autre main, ils perpétueront le mensonge et la propagande d'une nouvelle guerre avec de nouvelles causes légitimes grandiloquentes.

Qui aujourd'hui pour défendre les guerres d'hier : Algérie, Indochine, Vietnam, Libye, Irak, Afghanistan, Sahel…? Où sont passés les prosélytes de la légitimité de toutes ces guerres ?
Tout a été inutile, tout dans les guerres est inutile, mais il faut toujours que quelques propagandistes d'opportunité se sentent missionnés pour brandir ces tragiques drapeaux, inondés de sang, maquillés en totems des nobles causes.


Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d'espoir », Éditions L'Harmattan

Image : Craiyon.com

(1) Frédérique DAMAI : Le pacifisme n'a pas de camp

(2) Mark Lesseraux : Les États-Unis sont ignorants mais pas stupides