Et si on créait un ministère de l'amitié entre les peuples
Alors que le budget de la défense en France frôle les 50 milliards d'euros, soit 10 % du budget national, nous proposons d'en ponctionner 5 petits milliards pour créer un ministère de l'amitié entre les peuples.
RÉFLEXION
Frédérique DAMAI
2/19/2025


L'inimitié concerne les puissants
Tout le monde en est convaincu, sauf quelques illuminés dans notre genre : il faut se défendre. Contre quoi et contre qui ? La réponse n'est pas d'une grande précision, mais si l'on vous dit que le danger est là, de plus en plus grand et de plus en plus proche, il faut le croire. Autant la bouffée délirante n'est pas contagieuse, autant la paranoïa, si !
Tous les signes du dilemme de sécurité sont présents. On s'arme par crainte d'un danger que l'on projette, et celui qui est peu ou prou désigné comme ce danger s'arme par crainte du fait que l'on s'arme, donc se surarme par crainte… C'est la spirale négative de la course à l'armement.
Tout est ainsi parfait dans le plus ignoble des mondes, à part que les dangers que l'on nous désigne émanent de pouvoirs politiques et militaires, relayés et amplifiés par des pouvoirs politiques et militaires.
Ceux qui voyagent un peu croisent tous les jours sur leur chemin les peuples de ces dangers supposés qui ne montrent aucune antipathie ni aucune hostilité. Il arrive même souvent qu'ils sympathisent. Vous avez dit bizarre ?
Repartons de zéro, sur base d'amitié entre les peuples.
Le ministère de la Défense et la diplomatie sont, soit acoquinés à des pouvoirs qu'ils soutiennent, soit en conflit avec des pouvoirs qu'ils contestent en appuyant d'autres pouvoirs qui leur sont opposés. La relation entre ces pouvoirs se fait via des réseaux historiques marqués par des magouilles, des tripatouillages, une corruption réelle, mais contestée, un interventionnisme politico-économique souterrain, mais constant, un affairisme cynique, etc.
La Françafrique en est l'illustration la plus spectaculaire, mais il ne faudrait pas qu'elle masque la nature constante de notre diplomatie qui se désintéresse totalement des peuples et de leur destinée. Notre diplomatie est montée sur des ergots et cherche, du haut de son tas de fumier narcissique, où se trouve le prochain ennemi avec qui en découdre. C'est oublier les peuples qui n'aspirent en majorité qu'à la paix et à la sérénité.
Place au ministère de l'amitié entre les peuples.
Pourquoi faire ?
Pendant que les pouvoirs érigent des murs, mijotent des dangers, fantasmes des ennemis dans le monde entier et financent des armes, ce ministère aurait pour vocation de créer les conditions favorables aux amitiés entre les peuples.
Qu'est-ce qui donne envie de se connaître ? Qu'est-ce qui donne envie d'échanger ? Qu'est-ce qui nous donnerait envie d'être ensemble ? Qu'est-ce qui rend sympathique l'autre pour l'autre ? Comment s'identifier en civilisation commune dans des diversités d'existence. Etc.
Mettre en valeur ce qui répond positivement à toutes ces questions : voilà quel serait le but et la mission.
L'axe général serait d'échanger sur nos modes de vie. Il s'agirait de créer des plateformes d'échange, des programmes de connaissance mutuelle, des événements de rencontres, d'amitiés et de sympathie mutuelle. Nous proposerons plus bas quelques idées concrètes, mais nous sommes certains que d'autres seront beaucoup plus inspirés que nous dans l'invention d'actions fondatrices.
Par contre, la politique, le business et l'humanitaire seraient écartés de ce dispositif.
La première tâche de ce ministère serait de créer ses propres réseaux, dans le monde entier, avec des règles claires.
Première règle : toute personne ayant participé de près ou de loin aux anciens réseaux serait exclue de pouvoir participer, de près ou de loin, à la création de ces nouveaux réseaux.
Deuxième règle : les réseaux mis en place devront être exclusivement tournés vers les peuples et n'auront aucun lien avec les pouvoirs.
Troisième règle : ces réseaux représenteront le peuple français en recherche d'amitiés internationales et ne représenteront ni l'État ni le gouvernement de notre pays.
Quatrième règle : le nouveau réseau devra bannir toute proximité avec le pouvoir en place, les pouvoirs d'opposition ainsi qu'avec les représentants du pouvoir français et les représentants des pouvoirs économiques français et locaux.
Cinquième règle : ce nouveau réseau n'est pas un réseau d'aide humanitaire et devra exclure également toute proximité avec les acteurs humanitaires.
Une éthique sans faille.
Ce ministère devra se prémunir contre nos vieux réflexes civilisateurs. Personne ne sera là pour juger, intervenir et faire changer : seulement pour connaître et faire connaître. Les anciennes et nouvelles ligues de vertu n'auront donc aucune place dans un tel projet. Il ne s'agit pas d'un projet de mondialisation ou d'uniformisation. Il n'y a aucun projet de syncrétisme. Il s'agit d'une mission de meilleure connaissance et d'une meilleure compréhension mutuelle des différences. Il s'agit de passer de la crainte de l'altérité à l'enrichissement par la diversité.
Le ministère se refusera à toute hiérarchisation des valeurs et des traditions. Il ambitionne de faire des peuples et des civilisations se connaître et s'apprécier dans ce qu'ils ont d'humain. Et cela, quand bien même ils ne peuvent se comprendre sur tout. Il s'agit uniquement d'un projet d'amitié qui n'est possible que par la connaissance mutuelle et l'attachement aux pluralités.
Il faudra encore se prémunir d'autres travers tels que l'utilisation à des fins personnelles des opportunités créées par le réseau. Pour éviter cela, il faudra que les quelques personnes mandatées sur le terrain acceptent des contraintes très strictes qui excluent toute dérive touristique.
Enfin, le réseau dans chaque pays devra rapidement être essentiellement composé d'interlocuteurs locaux pour éviter toute suspicion et tentation d'interventionnisme civilisateur.
Diversité des moyens.
Tous les moyens technologiques existent pour assurer les échanges en restreignant les déplacements au strict minimum. Cela limite l'accès à certains peuples encore éloignés des ressources technologiques, mais c'est un début. Si l'on tire déjà profit des 60 % d'humains pouvant y avoir accès, ce serait déjà un bon début.
L'implication des diasporas pourrait être très positive. Nous parlons de celles qui ont envie de faire connaître leur pays tel qu'il est et non pas des diasporas militantes qui sont engagées dans le maintien ou la lutte contre leur pouvoir. Elles devraient adhérer à une charte éthique ministérielle très précise. L'émergence de tels relais pour chaque pays serait bien évidemment essentielle dans l'essaimage.
Quelles pourraient être les formes des actions de ce ministère
Mieux connaître ses modes de vie, mieux se comprendre, avoir des amis dans le monde entier.
Création d'une plate-forme d'échange qui permette à des petits groupes de personnes de communiquer pour se connaître, un peu à l'instar des correspondants scolaires d'antan. Cette plate-forme serait ouverte et modérée avec quelques règles incontournables : pas de prosélytisme politique ou religieux, pas de business ni d'échange d'argent, pas de drague ni de sexe.
La plate-forme pourrait structurer des thèmes d'intérêt, permettant aux uns de solliciter les autres, d'échanger sur ces thèmes, d'élargir, d'avoir envie de plus de contact.Pourquoi pas un moteur de recherche qui permette de poser des questions directement aux intéressés sur leur pays et leur mode de vie ? Évidemment, cela nécessite un temps de réponse de quelques heures à quelques jours, mais pourquoi pas ?
Des programmes d'échange avec les scolaires. Cela pourrait faire partie du programme de cinquième en collège et de première en lycée. Construire un échange de connaissance mutuelle avec des écoles du monde entier, libre à chaque classe de choisir une région et une civilisation qui l'intéresse pour y travailler pendant l'année.
Des fonds documentaires sous forme de passeport de voyage. Non pas des guides touristiques, mais de courts documentaires de présentation d'une vie locale, telle qu'elle est. De la naissance à la mort, du matin au soir, du lundi au dimanche : podcast et vidéos courtes.
Des fonds documentaires thématiques sur la vie quotidienne de la population en ville et à la campagne : pas de promotion touristique, pas de marketing, pas de politique, pas d'analyse critique, pas de jugement.
Des fonds documentaires sur les traditions culturelles, cérémoniales, artistiques, artisanales, vestimentaires, sociales, festives, etc.
Un focus national mensuel sur un pays et ses modes de vie : relayé par les milieux éducatifs, scolaires, artistiques, voire médiatiques…
Des événements festifs partagés sur une chaîne Internet dédiée.
Des événements en présence, créés avec les diasporas.
Voilà quelques exemples, limités par notre imagination. Souhaitons qu'un certain enthousiasme puisse en faire émerger d'autres.
Nous n'ignorons pas les obstacles et nous savons à quel point les réseaux issus de nos pouvoirs ont créé inimitiés et défiance dans le monde entier. L'amitié des peuples n'est pas celle des pouvoirs. Il faudra du temps pour que nos amis du monde entier comprennent le sens d'une telle œuvre d'amitié et soient rassurés. Il faudra les tranquilliser sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une mission civilisatrice de plus. La preuve ultime en sera que ce ministère soit totalement indépendant des engagements géopolitiques de l'État français : quoi qu'il arrive. Donc, aucun pays ne pourra en être exclu, parce qu'on ne peut écarter aucun peuple.
L'amitié n'est pas de changer l'autre, elle est de le prendre tel qu'il est. Ce sont des millions d'amis que nous pourrions nous faire dans le monde entier, avec la diversité comme opportunité. Les obstacles à l'amitié entre les peuples trouvent leur germe dans la caricature des peuples et de leurs modes de vie qui sont propagées par les pouvoirs. Les pires viennent sans doute de ceux qui ne comprennent pas que des humains qui ne vivent pas comme eux puissent être tout aussi heureux. Vouloir imposer le bonheur aux autres, selon ses propres modalités, ressemble assez clairement au discours du pervers qui prétend toujours agir pour le bien de ses victimes, même lorsque cela passe par la brutalité.
Longue vie à l'amitié entre les peuples.
Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d'espoir », Éditions L'Harmattan
Image : Craiyon.com