Traités et alliances : les raisins antidémocratiques des conflits et des guerres
Le texte souligne de manière critique les problèmes causés par les traités et alliances militaires de défense mutuelle inconditionnelle. Il met en lumière les distorsions de pouvoir, les risques de manipulation et les conséquences antidémocratiques de tels accords.
RÉFLEXION
Frédérique DAMAI
4/22/2025


Le biais de l'illusion de puissance
Le soutien inconditionnel d'un pays ou d'une organisation internationale à un autre pays représente le plus grand danger inhérent aux traités et alliances militaires de défense mutuelle. La diplomatie de ce pays en est forcément transformée, puisque ses dirigeants anticipent le soutien indéfectible qui leur sera apporté. Et ceci, quelle que soit la finesse, l'intelligence ou la bêtise de cette diplomatie : c'est bien là que le bât blesse.
Peu importe la taille de ce pays, ses dirigeants se sentent investis d'une puissance égale au pays ou à l'organisation qui les soutient. Il existe alors nécessairement une distorsion dans la représentation qu'ils peuvent avoir de leur propre puissance et de leur diplomatie, puisque le soutien acté est inconditionnel et que tout est permis. Tout est tellement permis qu'il existe une tradition détestable des alliances qui consiste à donner systématiquement raison à ses alliés, même lorsqu'ils ont tort.
Une diplomatie pervertie
Tout se passe donc comme si un traité ou une alliance militaire de défense mutuelle créait ipso facto une communauté sans faille, ni sans critique : autrement dit un communautarisme, avec toutes les dérives qui y sont attachées.
Sans l'appui supposé de ces traités et alliances, chaque pays serait amené à gérer une diplomatie de proche en proche, avant tout centrée sur les relations avec ses voisins. Et il ne fait aucun doute que des intelligences diplomatiques jusqu'alors insoupçonnées émergeraient de cette situation normale. Par ailleurs, cette diplomatie retrouvée se fonderait sur les intérêts propres de chaque pays et, espérons-le, sur les intérêts de son peuple.
Aujourd'hui, la diplomatie n'en est plus du tout là. Les relations entre pays voisins ne sont plus régies par les intérêts des pays et des peuples concernés, mais par des intérêts qui les dépassent. Les grandes puissances influentes (USA, Russie, Chine, Europe quand elle s'entend, OTAN, OTSC…) inoculent leurs propres intérêts dans des échanges diplomatiques qui peuvent se trouver totalement déconnectés des réalités, des intérêts des pays et de leurs peuples.
Les traités et alliances militaires ont leur revers : une dette implicite à l'égard des signataires les plus puissants.
L'échange se fait donc ainsi : le pays soutenu défend les intérêts de ceux des plus puissants qui les soutiennent, en contrepartie de quoi, ses dirigeants reçoivent une bénédiction a priori pour jouer les fiers-à-bras dans la relation avec leurs voisins. Et ceci, quelle que soit la personne qui dirige ce pays.
Des alliances et traités antidémocratiques
Par le biais des traités et alliances militaires de défense mutuelle, le peuple d'un pays peut se trouver engagé dans un conflit armé pour des raisons et objectifs qu'il ne partage pas du tout, voire qu'il réprouve. Car ces traités et alliances sont un exemple de plus du modèle autocratique en vigueur dans le domaine du militaire et de la défense.
Tel pays soutient et soutiendra inconditionnellement tel ou tel pays s'il est impliqué dans un conflit armé. Et cela reste vrai, même si ce pays a vu arriver à sa tête un fou furieux ? Oui. Et on voit bien là toute l'ineptie de ce modèle.
Comment le peuple d'un pays peut-il se retrouver engagé dans un conflit armé pour des raisons qui lui échappent complètement ?
Le creuset de cette aberration réside dans sa constitution même. On dit qu'un pays s'engage. Or, les pays ne s'engagent pas du tout, si l'on conçoit qu'un pays est avant tout constitué par un peuple. Ce sont quelques dirigeants qui engagent leur pays au bénéfice de quelques autres dirigeants. Pourtant, si le sang doit couler, ce sera bien celui du peuple.
Un peu d'histoire ?
On nous rétorquera que les alliances militaires existent depuis que le monde est monde, en tout cas depuis qu'il existe un minimum d'organisation sociale de groupes humains : et alors ?
Le 20ᵉ siècle est celui qui aura sans doute enregistré le plus d'alliances militaires et les plus meurtrières de tous les temps. C'est une façon bien peu probante de justifier l'intérêt de ce modèle pour promouvoir la paix. Il semble malheureusement que le 21ᵉ siècle ne soit pas mieux parti dans ce domaine.
Soulignons, une fois encore, que le fondement de ces alliances n'est pas nécessairement celui de critères d'amitiés, mais le plus souvent cette insupportable logique des ennemis de mes ennemis qui sont donc mes amis. Et puisque nous avons appris qu'il ne faut vexer personne en évitant les exemples actuels, rappelons les alliances du grand François 1ᵉʳ avec Soliman le Magnifique pour contrer Charles Quint.
Il en est signé du même type et avec des motivations aussi raffinées tous les jours.
S'en sortir
Cela passerait par une action unique : dénoncer tous les traités et toutes alliances militaires de défense mutuelle en cours.
Cela impliquerait que chaque pays en revienne à une diplomatie de proche en proche avec ses voisins, selon ses moyens et ses capacités.
Cela redonnerait à chaque pays son autonomie réelle quant à la défense de ses intérêts et des intérêts de son peuple.
Cela mettrait fin à la réalité antidémocratique qui engage un peuple dans des conflits armés sans qu'il ait jamais eu droit à la parole. Les citoyens d'un pays A ne votent jamais pour un dirigeant du pays B. Si ce dernier s'engage dans un conflit armé, même pour des raisons puériles ou stupides, de quel droit engagerait-il le peuple du pays A ? Sous le seul prétexte d'un traité ou d'une alliance de défense mutuelle ?
Nous espérons que les défenseurs de la démocratie entendront ce dernier message : tout cela est antidémocratique à souhait, comme tout ce qui concerne les politiques militaires et les politiques de défense. Malheureusement, nous voyons peu de projets politiques qui revendiquent le droit du peuple à s'autodéterminer en matière de défense.
Si les traités et alliances de défense mutuelle inconditionnelle posent de tels problèmes, pourrait-on se diriger vers des alliances conditionnelles ? Il faudrait déjà s'accorder sur les conditions. Mais quoi qu'il en soit, nous défendons l'idée qu'il ne peut y avoir d'accord de ce type qui ne soit pas l'objet d'un référendum pour les deux parties concernées.
Il est indispensable que l'on donne enfin le pouvoir au peuple quant aux choix relatifs à la défense et aux possibles conflits armés. Nous le soutenons à ce sujet, comme nous l'affirmons pour toute intervention de l'armée de son pays sur des terrains d'opérations extérieures : aucune délégation de ce pouvoir n'est possible ! Et naturellement, il est encore moins question d'admettre les modèles monarchiques qui président aujourd'hui à la destinée des peuples et de l'humanité dans la plupart des pays.
Aucun pays, qui engage inconditionnellement son peuple dans des conflits armés par le biais de traités et alliances militaires de défense mutuelle, ne peut se revendiquer être une démocratie exemplaire et encore moins une défenderesse des droits humains.
Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d'espoir », Éditions L'Harmattan
Image : Craiyon.com